16 septembre 1914, fleuve de l’Aisne, France

Plus rien ne bougeait sur la berge et les 10 000 hommes couchés dans le fleuve fixaient avec inquiétude les positions allemandes.  Nous avions 600 mètres à traverser pour remonter le fleuve et les Allemands étaient armés jusqu’aux dents. Cela faisait plus d’une heure que la division attendait, tapis dans les herbes, l’ordre d’avancer.

 

L’objectif de notre division était de traverser l’Aisne, de prendre position de l’autre côté, d’attendre les renforts puis foncer sur Brimont. N’empêche qu’avec quatre divisions et trois corps d’armée entiers nous n’étions que 180 000. De l’autre côté, les Allemands étaient à peu près 260 000. De plus, nos effectifs avaient été amoindris depuis deux jours en raison de mutinerie et de fuite dans nos rangs. Nous avions perdu notre chef de régiment dans la foulée. Autant dire que nous n’étions pas sortis de là…

 

Au centre d’un groupe de soldats, un petit homme se leva armé d’un sabre et le pointa vers l’autre côté du fleuve en criant : « Avancez soldats ! ».

 

En groupe, les jambes écrasées par l’attente et le corps gelé par l’eau, nous courions vers le fleuve en espérant que les Allemands ne nous atteignent pas. Dès que l’on s’est mis à charger à la baïonnette les tranchées ennemies, les premières mitrailleuses commencèrent leur concerto funèbre. Une dizaine d’hommes, près de moi, jonchaient le fleuve qui tourna rapidement au rouge.

 

Des centaines d’hommes, à l’avant, se faisaient tuer lorsqu’ils atteignaient l’autre rive. En tentant de monter sur la terre ferme, ils se retrouvaient face à une rangée de soldats prêts à faire feu. L’attaque tournait en véritable carnage. Je pris alors la décision de m’arrêter et tenter d’endommager les mitrailleuses. Si rien ne se faisait, la division entière y passerait.

 

Le caporal Deslauriers semblait d’accord avec cette idée. Il fit signe aux soldats derrière lui en leur indiquant de s’accroupir et de faire feu.

 

Nos tirs eurent l’effet escompté. Les mitrailleurs, qui avaient à gérer les soldats fonçant vers eux ainsi que ceux qui tiraient sur leur position, se retrouvèrent vite débordés et les Allemands durent abandonner leur position sous des tirs nourris.

 

Soulagé, le reste de la division continua d’avancer, en enlevant les corps de ceux qui sont tombés au cours de l’affrontement. Arrivés de l’autre côté, il ne restait pas grand-chose. Les munitions et les vivres avaient été brûlées et le camp y avait passé aussi.

 

Cela faisait maintenant trois jours que je n’avais rien mangé et ce ne sera certainement pas aujourd’hui que je le ferai. Tous étaient morts de fatigue. Le site était rempli de lits faits sur mesure et des dizaines de médecins couraient pour aller s’occuper de ceux qui étaient blessés.

 

Un rocher n’avait pas été utilisé, j’en profitai donc pour me reposer un peu après les événements des derniers jours. Un soldat de première classe vint s’asseoir près de moi, le casque sur les yeux.

 

– T’es de la première division hein ?

– Ouais…dis-je sans grande conviction.

– Tu viens du Corps Canadien toi aussi ?, dis le soldat en levant son casque, une lueur d’espoir dans les yeux.

– Henri Caron, du 6e bataillon de Montréal, lui dis-je en lui serrant vigoureusement la main.

– Louis Ferrand, 8e régiment de voltigeurs de Trois-Rivières. Enchanté, dit Louis.

 

Louis me raconta comment il s’était retrouvé sur le front et ses exploits depuis le début de la guerre. Sans le savoir, on avait combattu ensemble durant la bataille de la Marne.

 

Par après, ce fut à mon tour de lui raconter mon recrutement, mon entrainement et ma participation durant la bataille de la Marne ainsi que mon chemin pour retrouver le 1er Corps après la bataille.

 

– Sais-tu quels sont les plans de French ?, dis soudain Louis.

– Pas grand-chose mis à part que l’on va devoir tenir la position jusqu’à ce que les 4e et 5e vagues viennent nous soutenir dans notre prochaine offensive sur Brimont.

 

Ferrand allait répliquer quand un officier vint me voir.

 

– Lieutenant-caporal Caron, on a besoin de vous à l’avant.

– J’arrive, dis-je en saluant rapidement Louis qui devait, lui aussi, retrouver son unité.

 

Arrivé au QG, je fus étonné de voir French aussi inquiet, lui qui montrait rarement ses émotions. Il leva la tête et dit d’un ton anxieux :

 

– Lieutenant Caron, il faut que je vous transmette cette information au plus vite. Demain, je ferai un discours devant nos forces, je leur dirai que, compte-tenu des récents retranchements des forces allemandes et de la défense accrue que cela leur rapporte pour préserver l’avantage sur les Allemands, nous n’avons plus d’autre choix que de se retrancher sur nos positions. Demain, la 5e vague commencera le retranchement, alors que les 2e et 4e vagues s’occuperont conjointement de la prise de Brimont. Lieutenant Caron, ainsi que votre division, nous avons un urgent besoin de prendre la ville. Si Brimont ne tombe pas avant la semaine prochaine, ce sera nos positions avantageuses face aux Allemands que nous perdrons.

 

L’air de rien, je saluai le commandant French et dit :

 

– Oui mon général.

 

Pourtant, c’est l’anxiété qui me dominait. La guerre devait se terminer d’ici Noël et les tranchées étaient signe d’un affrontement long à venir.

 

Devant nous s’élevait le château-fort de Brimont, je grimaçai devant l’incroyable stature de ce château moyenâgeux et me dis que les Allemands avaient sacrément bien choisi leur retranchement…

Clément Jannard

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