Les oubliés – 5 septembre 1914

Au champ d’honneur
Au champ d’honneur, les coquelicots
Sont parsemés de lot en lot
Auprès des croix; et dans l’espace
Les alouettes devenues lasses
Mêlent leurs chants au sifflement
Des obusiers.
Nous sommes morts
Nous qui songions la veille encor’
À nos parents, à nos amis,
C’est nous qui reposons ici
Au champ d’honneur.
À vous jeunes désabusés
À vous de porter l’oriflamme
Et de garder au fond de l’âme
Le goût de vivre en liberté.
Acceptez le défi, sinon
Les coquelicots se faneront
Au champ d’honneur.
Poème «In Flanders Fields», traduit de l’anglais, de John McCrae un soldat Canadien de la Grande Guerre.
5 Septembre 1914, Montréal, Canada
Jack O’Lard riait de bon cœur et un autre homme avec qui il échangeait était visiblement en accord avec lui.
Tous deux étaient de vieux amis, à en voir leurs accolades.
Ils étaient installés dans la longue file qui était postée devant le Centre de recrutement royal de Montréal (CCRM), soit le centre le plus proche de mon appartement.
J’étais déstabilisé par le nombre de personnes souhaitant aller combattre. Ils semblaient ne pas se soucier des dangers de la guerre.
Moi, j’étais plus que confiant, car tout jeune j’avais vécu les mœurs de la guerre. En 1899, j’avais été, à 11 ans, désigné comme aide de camp du Canada durant la guerre des Boers. Je devais transporter des sacs de munitions sur tout le front. À de nombreuses reprises, j’ai failli y laisser ma jeune peau.
Respirant une grande bouffée d’air frais, je bombai le torse, puis mis le pied sur la rue me séparant du centre de recrutement.
L’attente était longue, mais je m’en souciais peu.
De temps en temps, je donnais mon avis sur des questions militaires ou politiques du genre : Faut-il préserver la paix en Afrique du sud ? Est-ce que les conservateurs font le boulot au gouvernement ? Des questions qui, j’avais l’impression, revenaient plus que régulièrement lorsque nous sommes dans les entourages de la politique.
Soudain, mon tour était venu, on avait nommé mon nom.
« Nous demandons à M. Henri Caron de bien vouloir se présenter au bureau numéro 53, merci. »
Je montai les escaliers menant au bureau, puis je souris, probablement par excès de confiance. C’était récurrent. Il faut dire que mon statut proche de la politique et mes fréquentations me le permettaient.
Je saluai l’homme devant moi, puis m’assis devant lui.
Bonjour Monsieur…
– Henri Caron, enchanté.
– J’étais étonné qu’il ne sache pas mon nom, pourtant il avait été signifié…
– Alors débutons.
– Parfait.
– Donc …
– Je ne fis qu’une brève description physique : homme de 20 ans, célibataire, j’avais fait mes études avec succès à Montréal. Déjà là, il semblait convaincu, mais c’est lorsque je lui dis que j’étais vétéran de la Guerre des Boers qu’il se leva et dit :
– Vous me semblez parfait, M. Caron. Félicitations, vous faites maintenant partie du Corps armé canadien !Il faut dire que je n’avais pas grande chance de ne pas pouvoir m’engager. Avec mon physique assez moyen, ma bonne santé et mon visage marqué par la guerre qui m’avait laissé une longue cicatrice sur la joue. J’avais raison d’avoir confiance.
Satisfait, je poussai la porte du CCRM et appelai le taxi le plus proche en direction du 224 rue Faunier.
Clément Jannard
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