Les aimer de la tête aux pieds

C’est alors qu’en se réveillant le matin, une nouvelle journée débute pour chacun d’entre nous. À l’instar des personnes dites neurotypiques et sans limitation fonctionnelle (sans handicap physique), la majorité de la population se lève sur ses deux pieds le matin, parfois initialement du pied gauche, parfois du droit. C’est cette même majorité qui, usant maintenant de ses bras, mange son premier repas de la journée en portant sa nourriture à sa bouche. Celle-ci se dirige ensuite vers les toilettes afin de poursuivre sa routine matinale, où elle verrouille la poignée, satisfaisant ainsi son désir d’intimité. Elle s’habille ensuite en décrochant un chandail de son support et en ouvrant ses tiroirs afin de compléter son habillement. Puis, cette majorité prépare son lunch. Elle met ses souliers tout en lançant un dernier au revoir à ses parents. Elle marche jusqu’à l’arrêt d’autobus.

Et si, toi, tu fais partie de cette majorité et que tu es en mesure d’effectuer toutes ses actions avec une facilité impressionnante, environ 1 personne sur 8 au Québec n’en est pas capable en raison d’incapacités physiques et/ou cognitives. Ce sont donc environ 1 300 000 individus qui, tout au long de leur vie, seront considérés comme des êtres incapables par certaines personnes de l’extérieur n’ayant jamais fait insertion dans leur monde parfois si intéressant. C’est donc ci-dessous que vous rencontrerez les deux personnes possédant un handicap qui m’ont marquée à vie.

 

Physiquement parlant

La paralysie cérébrale, c’est ce qu’avait un campeur du Camp Papillon, un camp se spécialisant dans la prise en charge de personnes ayant des limitations physiques et/ou intellectuelles, lorsque je l’ai rencontré pour la première fois. C’est d’ailleurs ce qu’il a toujours puisque la paralysie cérébrale résulte d’atteintes permanentes survenues au cerveau lors du développement de l’enfant au moment où il était encore dans le ventre de sa mère. Ainsi, chez cet homme dont j’ai eu la chance exceptionnelle de pouvoir croiser le chemin, ses limitations se sont avérées seulement physiques et non cognitives. Il s’est donc retrouvé en fauteuil, à avoir besoin que tous ses soins (manger, boire, se laver, s’habiller, etc.) soient effectués par un aidant. De plus, il est atteint de spasticité, ce qui se traduit par la contraction soudaine de muscles causant d’intenses douleurs chez la personne les supportant. Je ne pensais jamais remercier des spasmes de toute mon existence, mais Dieu merci qu’ils existent!

En effet, cette soirée de juin 2016, ce campeur est passé à côté de moi en fauteuil, puis s’est arrêté subitement en pleurant. On était trois monitrices sur les lieux et chacune d’entre nous a accouru vers lui pour lui venir en aide. Il faut savoir que c’était mon premier contact avec une personne physiquement limitée et donc, que je n’avais aucune idée de ce que je devais faire. L’une des autres aidantes m’a dit de tenir le fauteuil pour ne pas qu’il bascule par en-arrière pendant que la troisième animatrice et elle-même poussaient sur les bras secoués de spasmes afin qu’ils s’accotent dans le fond du fauteuil et ainsi, que les douleurs procurées à l’homme soient diminuées au maximum.

 

« Ça ne lui fait pas du bien, mais c’est déjà tellement mieux que si on ne faisait rien. »

 

Tout s’est finalement bien passé, il était correct, seulement épuisé. Puis, le lendemain matin, je l’ai croisé à la plage du camp et on a pris du temps pour se parler. Cet homme, mes amis, a traversé le primaire, le secondaire, le cégep et l’université afin de devenir propriétaire d’une compagnie de télécommunication. Il est d’ailleurs le meilleur ami du président de la SEHQ (Société pour les Enfants Handicapés du Québec) et l’aide à la gérer. Il est l’une de mes inspirations premières en tant qu’être humain puisque trouver autant de cœur, de générosité et de patience en quelqu’un est rare. De plus, jamais il ne tiendrait rigueur à quelqu’un quant à son absence de limitations physiques. Il traite tout le monde de la même manière.

 

Peut-on dire des personnes, physiquement parlant, sans incapacité, qu’elles aiment toutes et chacune aussi inconditionnellement que lui?

 

Intellectuellement parlant

 

« Je suis négative pis t’es pognée avec moi pour 11 jours, pauvre toi. »

 

Ce sont les premiers mots que la jeune femme ayant été placée dans mon groupe m’a fait entendre de sa part alors que j’étais nouvelle au centre Normand-Léveillé l’été passé. J’allais donc, en effet, avoir à passer tout un séjour avec elle.

« Son cerveau fonctionne avec des cassettes. Elle va tout le temps te sortir les mêmes phrases et elle y croit. Dans ce temps-là, tu lui rappelles qu’elle a pas à dire des affaires de même. T’es la figure d’autorité, fais-lui savoir. Aussi, elle a détesté la dernière accompagnatrice qu’elle a eue ici, je te souhaite bonne chance. », m’a dit sa mère avant de faire un dernier bisou à sa fille et de s’en aller.

Pour tout dire, il n’y a aucun moment où je me suis sentie rassurée par cette madame, mais j’avais trop d’orgueil pour que la participante de mon groupe ne passe pas le plus beau séjour de ses 32 ans de vie. Et donc, en lui offrant le plus de mon temps possible et en créant ainsi un lien, elle m’a avoué être survivante d’un accident survenu alors qu’elle n’avait que 5 ans. C’était un 31 octobre et elle passait l’Halloween avec toute sa famille; sa mère, sa sœur et son frère. Puis, un automobiliste saoul s’est présenté dans cette même rue où ils se trouvaient, roulant beaucoup plus vite que la limite permise. Toute la famille de ma participante a eu le temps de se tasser à temps, sauf elle, qui en est donc ressortie avec un traumatisme crânien (TCC). Au moment du choc, des lésions (destruction des cellules) ont été créées à son cerveau. Ainsi, elle en est ressortie avec des séquelles cognitives (troubles de mémoire et de langage) et des séquelles affectives (impatience, passivité et agressivité). Obtenir un véritable sourire de sa part était donc chose presque impossible.

Puis, tout au long des 11 jours, elle s’ouvrait à moi comme je sentais qu’elle ne l’avait pas encore fait avec beaucoup de gens. Je lui laissais son autonomie, même si prendre sa douche par elle-même durait une heure. Je la laissais rester dans son coin pour certaines occasions puisque le contact humain lui était difficile et qu’être dans un camp la sortait déjà bien assez de sa zone de confort.

Et c’est ainsi qu’arriva la dernière journée. Sa mère était venue la chercher et tout était prêt pour qu’elles repartent ensemble, mais j’avais oublié l’un de ses livres dans le gymnase, ce pour quoi sa mère proposa d’aller le chercher elle-même avec sa fille. Une dizaine de minutes plus tard, je me promenais sur le site tout bonnement en pensant que les deux femmes étaient parties, mais j’ai entendu la mère crier mon nom.

 

« Marie-Soleil, elle vient de me dire qu’elle a aimé son séjour. Est-ce que tu te rends compte à quel point c’est la première fois que ça arrive? »

Tout en vaut la peine.

 

 

Par Marie-Soleil Boulé-Bouchard, collaboratrice

 

 

 

 

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