Au début de l’année, je suis allée voir les responsables du journal pour leur parler de l’article que tu as présentement sous les yeux. Ça devait parler de la tuerie raciste de Charlottesville à la base. Sérieusement, cet événement-là m’avait chamboulée à un point où je ne pouvais juste pas ne pas en parler. J’ai écrit le texte pour finalement me rendre compte que c’était plus que ça, le problème. La tuerie de Charlottesville, c’est le résultat d’un problème encore plus grand. C’est du racisme, tout simplement. Je trouvais pas ça correct de mentionner le geste sans parler des causes, sans mentionner que c’est le résultat de plusieurs décennies de négativité non justifiée. Les causes, elles-mêmes, méritaient un article, selon moi. Je me devais d’apprendre et ensuite, de partager les raisons qui poussent une société à tuer ses membres sous prétexte que la valeur de leur vie est basée sur la quantité de mélanine présente dans leurs corps. En faisant mes recherches, je me suis rendu compte que le racisme était tellement imprégné dans le système de pensée des pays développés qu’on avait même bâti la société autour de ce concept-là. C’est ce qu’on appelle le « racisme systémique ».

En juillet dernier, Kathleen Weil, la ministre québécoise de l’immigration présente durant cette période, annonçait haut et fort la venue d’une consultation sur la discrimination systémique et le racisme vers le mois de septembre 2017. Cette consultation, en bref, servait à étudier le comportement de la société québécoise pour pouvoir identifier où la population a des biais raciaux pour, ensuite, trouver comment on les détruit. C’est sur ça que j’ai basé mes recherches. La manière subtile dont la société fait preuve de son racisme au travers de ses citoyens.

 

Une définition qui complique les choses

Lorsqu’on recherche sur Internet le terme «racisme systémique au Québec», on tombe en tout premier lieu sur le site web de la Coalition pour l’Égalité et Contre le Racisme Systémique. Là-dessus, on peut lire la définition du racisme systémique selon le barreau du Québec. «Nous entendons par racisme systémique la production sociale d’une inégalité fondée sur la race dans les décisions dont les gens font l’objet et les traitements qui leur sont dispensés. L’inégalité raciale est le résultat de l’organisation de la vie économique, culturelle et politique d’une société». Déjà là, si t’as pas un doctorat en la matière, ça sonne pas mal compliqué à comprendre et c’est très facile de penser que ça accuse tous les Québécois blancs de racistes. Cela dit, c’est pas exactement ça. Ça accuse plus la société, qui elle, privilégie les Québécois blancs dans pas mal toutes les sphères de la société. Toi, dans ton salon, tu n’es pas nécessairement responsable de la discrimination au Québec, ne t’en fais pas.

 

crédit: Arielle Goudreault

Ne pas reconnaître son privilège

C’est «cool» de savoir qu’au Québec, tu as plus de chance de te faire engager comme directeur d’une compagnie si ton nom c’est Bolduc, Tremblay, ou n’importe quel autre nom en lien avec l’idée du Québécois «pure laine». Pire que ça, le site de la CÉCRS dit même que des noms dans le genre ont 60% plus de chances de se faire inviter à un entretien d’embauche qu’une personne à compétences égales qui se nomme Traoré ou Ben Saïd ou toute autre variation d’un nom de famille qu’on qualifie d’«exotique». Le taux d’incarcération des jeunes autochtones a augmenté de 40,6% dans les dix dernières années et près de 90% quant à celui des jeunes Afro-américains. Celui des blancs, lui ? Il a baissé, malgré un taux de criminalité qui, lui, ne baisse pas.  Selon les années, les communautés noires et maghrébines sont affligées par un taux de chômage de deux à trois fois plus élevé que la moyenne. On a du mal à mettre des personnes de couleurs dans des positions de pouvoir. Les minorités visibles occupent 2,6 % des postes de haute direction et de conseils d’administration. Pour les femmes racisées, c’est 0,4 %, alors que c’est 15,1 % pour les femmes non racisées. C’est quand même pas mal choquant tout ça. On continue sans cesse de  promouvoir une société raciste sans même comprendre pourquoi. Le racisme systémique est compliqué à comprendre parce chacune des personnes vivant au Québec participe à l’instauration d’un système qui favorise les Québécois blancs.

 

La psychologie du racisme

Le docteur en sociologie de l’éducation Noumane Rahouti écrivait dans le Huffington Post, le 22 février 2015, un article expliquant la psychologie du racisme. Sa thèse explique que le racisme naît de la manière dont le cerveau apprend le langage. Avouons-le, dit de même, ça sonne zéro logique. Quand on entend Dr. Rahouti s’expliquer, par contre, on le comprend, je le jure. Ce qu’il explique, en bref, c’est qu’à l’enfance, le cerveau assimile le langage en se servant des mots qu’il entend autour de lui, en écoutant la manière dont les gens parlent. C’est ce qui permet aux enfants de dire des phrases qu’ils n’ont jamais entendues dans le genre «une chaise, des chaises, un journal, des journals». Le fait que les enfants soient capables d’associer «un journal, des journals» sans n’avoir jamais entendu que le terme correct pour «journal» au pluriel est «journaux», ça prouve qu’ils apprennent le langage en assimilant les informations qui leur sont données par le monde extérieur. Comment ça, ça se traduit au racisme? Ben, tout simplement, la manière dont le cerveau assimile des informations en lien avec le langage qu’ils reçoivent sans que ce soit dit explicitement, ça se développe et peut, ensuite, s’appliquer sur des gens, des situations et des comportements. C’est comme ça qu’on développe des stéréotypes, pis avec ces stéréotypes-là, on développe une constante négative à l’égard d’un groupe en particulier, pis ça, ben c’est du racisme. Merci, Dr. Rahouti!

 

 

J’écris cet article-là parce que j’ai peur. J’ai peur qu’on oublie que notre société est encore loin d’être parfaite. J’ai peur qu’on oublie qu’il n’y a qu’un seul mois dans l’année consacré à l’histoire de la culture noire au Canada. J’ai peur qu’on ne se fie uniquement à ce qu’on nous a enseigné dans les livres d’histoire et qu’on voit les migrants, les «non blancs», comme des «frustrés irrationnels», comme si malgré qu’on ait aboli l’esclavage en 1834, on continuait, collectivement, à encourager le racisme. J’ai peur qu’on oublie la différence, qu’on «ne voie plus la couleur», qu’on se cache derrière des phrases préconçues pour justifier notre petite pointe de crainte personnelle. J’ai peur qu’on ne prenne plus au sérieux le «mais» dans le terme «j’suis pas raciste, mais…». Si tu vois du racisme, parles-en. Dénonce les préjugés et les préjudices. Tu vas peut-être entrer dans une discussion pénible sur l’importance des mots et la puissance des préjugés, mais au moins, tu vas avoir parlé. Tu vas avoir mis ton pied à terre pour faire en sorte que tout le monde se sente un petit peu plus heureux au Québec et partout ailleurs.

 

Gabrielle Hurteau, éditorialiste

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