Un journal à l’écoute, c’est possible?

Gabrielle Hurteau, journaliste

Le journalisme est un art biaisé. On ne le dira jamais assez. Que ce soit des présentateurs de radio-poubelle, des éditorialistes, des reporters sérieux, des caricaturistes, des bulletins de nouvelles : les nouvelles sont manufacturées et choisies spécialement pour le public, mais celui-ci n’est jamais vraiment consulté. En vérité, le consommateur de nouvelles a peu de pouvoir sur ce qui est écrit. Un journaliste a pour but de rapporter une nouvelle, mais il a la liberté de choisir quel sujet il présente et sous quel angle. Jamais il n’existera un article impartial. Ça n’est jamais arrivé et ça n’arrivera jamais. De dire que le journalisme a pour but l’information, c’est d’omettre une grande part de vérité. Le journaliste choisit ce que le public veut voir, et donc a aussi en tête l’impact que l’article aura sur lui. C’est pour ça qu’au Québec, il n’existe que peu d’articles par rapport à la condition palestino-israélienne. Parce que personne ne veut écrire à ce propos, et donc personne n’a accès à l’information.  C’est également pourquoi toutes les grandes chaînes  d’information se concentrent sur le budget de Valérie Plante. C’est pour ça que les gens crient à l’injustice. Parce que tout le monde en parle, à sa manière, sous son angle, et on se perd, dans la tornade d’informations.

Oui, ok, ses taxes augmentent malgré la promesse qu’elle a faite de ne pas faire bouger son pourcentage de taxes, mais pourquoi? Pis, c’est bien, ou c’est mal ? Pour se faire une idée, il faut regarder  chaque article attentivement, parce que d’un journaliste à l’autre, des informations sont omises: on dirige l’idée du public dans une certaine direction à notre guise. Rares sont les journalistes qui vont écrire sur des sujets sous un angle qui ne correspond pas à leur opinion sur le sujet. Moi-même, j’en suis coupable. Je te sors une petite morale à la  fin de chaque article et je ne m’en cache pas. Malgré les biais, tout le monde s’entend pour dire que le journalisme et la collecte de nouvelles est cruciale. Mais si le journalisme a des failles, à qui doit-on se référer? Est-ce qu’il y a moyen de redonner aux lecteurs le pouvoir de tout voir ?

Par Bayo : https://www.francopresse.ca/2017/03/27/le-journalisme-dhier-a-aujourdhui/

La une 

À mon avis, la une est une idée nocive à l’authenticité du journalisme. C’est une présentation qui dirige les utilisateurs vers des articles que le journal estime importants, qu’il estime valant la peine d’être lus. Même si je suis flattée quand on me dit:

« Gabrielle, ton article va être mis à la une du journal cette semaine »

je commence à questionner la valeur de cette présence? Est-ce que mon article est lu parce que le sujet est intéressant, ou simplement parce que celui-ci est dans les choix que le lecteur a, dès son arrivée sur le site. Pourquoi est-ce que le Journal de Montréal publie à chaque jour une version digitale de sa couverture de journal? Pourquoi ces articles-là plus que d’autres? Pourquoi c’est toujours la victoire des Canadiens, un scandale politique quelconque pis, dans le coin, en tout petit, une mention sur le fait que la planète est en train de mourir? Pourquoi tous les journaux accordent-ils de l’importance aux mêmes sujets, toujours et constamment? Quand le journal choisit lui-même ce qui paraît à la une, il dirige l’attention du lecteur vers des endroits spécifiques, et ça nuit à l’authenticité du journalisme, qui a pour but de faire valoir chaque nouvelle avec la même importance.

La spécialisation 

Quand un.e journaliste se spécialise, ce qu’il dit, en gros, c’est « voici ce qui m’intéresse et je vais traiter uniquement de cela, parce que ça m’intéresse et que je m’y connais ». En soi, d’avoir des journalistes expérimentés, c’est absolument bénéfique, car on assure que ceux-ci ont une connaissance générale du sujet, qu’ils savent de quoi ils parlent. Mais parfois, cette spécialisation crée un phénomène d’élite. Le journalisme déduit que tout le monde sait de quoi il parle, alors il va décrire son article avec des termes compliqués, qu’il ne  prendra pas la peine de vulgariser, il va faire référence à des événements que tout le monde est censé savoir, ce qui fait en sorte que quelqu’un n’ayant aucune information sur le sujet n’a pas les connaissances nécessaires pour comprendre l’article sans faire des dizaines de recherches supplémentaires. Juste comme ça, le journaliste a transformé un public intéressé en un public désintéressé, en réduisant l’accessibilité de son contenu. Des fois, c’est bien, d’avoir le point de vue d’une personne qui n’est absolument pas informée à propos d’un sujet, parce qu’elle va devoir mettre doublement d’efforts pour comprendre une problématique, et va pouvoir partir au même point que certains de ses lecteurs, et ensuite, divulguera son information de manière à ce que personne d’autre partant à son niveau n’ait besoin de faire les recherches qu’elle a faites. Que le journaliste soit aussi le public, ça permet une accessibilité qui se perd.

La cohésion

Quand ton journal a une opinion, c’est mauvais signe. Si personne n’écrit des articles dans le Journal de Montréal contredisant un article publié par le Journal de Montréal, on instaure l’idée que le Journal est en cohésion, que tous ses  journalistes ont le même point de vue sur le sujet, qu’ils ont tous le même vécu et la même opinion. Que tous les journalistes sont convaincus que tous les aspects de l’article ont été présentés, qu’il n’y a rien d’autre à dire. Ça crée un profil de journaliste, et ça, c’est négatif. Si tous tes journalistes sont anti-Trump, féministes, jeunes, qu’ils votent pour les mêmes partis politiques, qu’ils s’identifient tous au même côté de l’échiquier politique, le journal en entier devient biaisé du même côté. Chaque article de nouvelle écrit devrait être présenté sous deux angles différents, avec deux biais différents. Il faut que la même nouvelle soit présentée avec les deux côtés de la médaille en tête, pour arriver à obtenir une nouvelle fiable et solide.  C’est ce qui fait qu’un journal est impartial. Quand tu montres les deux côtés de la médaille, c’est comme ça, que tu crées un journal qui se tient, qui est crédible et qui informe.

Le pouvoir au public 

Mis à part les commentaires, auxquels les journalistes ne répondent jamais, le public, il est où ? Il lit ce qu’on publie, mais n’a pas le pouvoir de choisir ce qu’il veut lire. Pas de boîte de suggestion, pas de lettres ouvertes écrites par le public dans les journaux, même si c’est le lecteur qui donne une raison d’exister aux journaux, celui-ci n’a pas de pouvoir. Il faut absolument changer ça. Un journaliste qui est à  l’écoute de son public saura mieux cibler ce qu’il veut, ce qu’il ne comprend pas, ce qu’il voudrait consommer. Présentement, les grands  journaux considèrent leurs auditoires comme un algorithme, une statistique, sur laquelle ils se basent pour éternellement publier le même genre de contenu, sans jamais diversifier celui-ci.

Bref, chers lecteurs, sachez que vous détenez du pouvoir. Vous manipulez les statistiques, vous avez une section de commentaires ouverte, vous avez droit de demander à ce qu’on vous montre de l’information qui vous interpelle. Le nombre de lecteurs importe peu, c’est ce qui est lu qui compte. Vous méritez une information complète, et j’espère sincèrement, en tant que journaliste comme en tant que consommatrice, que nous arriverons à créer et à recevoir du contenu qui s’adapte à nous, de qualité, et que notre esprit critique se développera suffisamment pour permettre un journal de qualité, une information complète, à l’abri des biais. Je vous souhaite que les journaux vous incluent et que vous vous sentiez écoutés par ceux-ci.

Imprimer
(Visited 223 times, 1 visits today)

À propos de l'auteur(e)

css.php