Jour 2 – Demain

Vide…

Silence…

Froid…

Une sensation de froid…

L’air est humide, lourd… Il y a comme une odeur de métal… ou de renfermé… Je pense que je suis étendu… Je sais pas trop… Je vois pas bien non-plus… C’est… flou…  Sombre, aussi. J’entends comme un ronronnement mécanique…

Je suis un peu mêlé… Je suis calme, mais on dirait que j’arrive pas à aligner deux idées et réfléchir.

Puis, d’un coup, ça me revient. L’usine. Le déraillement. Le cri! Le champ!! L’ombre!!!

Aussitôt que j’essaye de bouger, une vague de douleur me traverse le corps. Je grimace tellement ça me fait mal. J’ai l’impression de m’être planté en skate, puis qu’un camion m’a roulé dessus. Plusieurs minutes passent avant que les élancements se calment.

Quand j’ouvre à nouveau les yeux, je remarque une chose au plafond. Une image peinte qui prend toute la place : le même logo que sur le train qui avait déraillé à l’usine, accompagné d’un mot.

C’est à ce moment-là qu’une porte s’ouvre. Je veux regarder, mais je réussis pas à voir qui approche jusqu’à ce que la personne arrive vis-à-vis ma tête.

L’homme porte une tenue bizarre : un habit jaune comme dans les films de catastrophe. Le genre qui résiste aux microbes et aux radiations nucléaires. Il a une petite barbe grisonnante et les cheveux courts en bataille. Derrière ses lunettes rondes, ses petits yeux gris ont l’air cernés et son visage grave me fait un vague sourire fatigué.

Sans me dire un seul mot, il saisit mon avant-bras et m’injecte un liquide d’un bleu si pâle qu’il semble presque phosphorescent. Un frisson se répand dans mon corps et m’engourdit les muscles et les pensées. Je m’endors à nouveau.

J’ai… des souvenirs.

À moins que ce soit… des rêves?

Parfois, c’est juste des sensations. D’autres fois, j’ai des images ou des sons décousus. On dirait que ça dure une éternité.

Je vois une lampe médicale suspendue au-dessus de moi. Une aiguille froide qui me perce la peau. L’odeur des crêpes de me mère. Un mur métallique rouillé. Mon corps qui me brûle de l’intérieur. Le visage de Camille qui me sourit. Un goût de métal. Ma voix qui résonne sans réponse. L’écho étouffé d’un cri de… Jay.

Jay?

JAY?!?

J’ouvre les yeux. Là, je rêve plus. Je suis même terriblement réveillé tout à coup. Quelque part, tout près de moi Jay hurle à la mort. Sans réfléchir, j’essaye de me relever… mais je suis attaché à une civière!

Plus par réflexe que parce que j’espère réussir, je force pour me libérer. Mon effort me fait encore souffrir un peu, mais je m’en fous. Soudain, une sangle se déchire comme si c’était du papier! Mon bras droit est libre! Je me détache à toute vitesse et je me lève.

La tête me tourne un peu lorsque je me tiens debout, mais un nouveau cri me ramène vite à la réalité. Je suis dans une toute petite pièce rectangulaire aux murs métalliques. Je fonce vers la seule porte de la pièce, qui s’ouvre sans résister.

Je me ramasse dans un long corridor dont les murs sont faits du même métal gris terne que ceux de la pièce dont je sors à peine. Sur un des côtés se trouvent quatre portes identiques : une à ma gauche, la mienne et deux autres sur ma droite. À chaque extrémité du corridor se trouve une lourde porte renforcée avec une poignée à verrou, genre coffre-fort.  Un peu partout, le logo dont j’ignore le sens est peint à plusieurs reprises. Et sans arrêt, un grondement sourd et constant, comme le bruit d’une turbine.

Un autre cri, plus faible celui-là.

Ça vient de ma gauche! Je m’avance vers la porte en reprenant mon équilibre, je saisis la poignée, je prends une grande respiration et… j’ouvre d’un coup sec!

Shit…

Jay. Il est là. Il est attaché sur une civière, comme je l’étais. Il… Il est mal en point. Shit… Il est tellement maigre! On lui a rasé la tête. Sa peau est toute pâle. Ses yeux sont tellement cernés qu’on dirait qu’ils se sont enfoncés dans sa tête. Partout sur son corps, je vois des lignes dessinées et des marques de cicatrices.

En l’observant, je m’aperçois que j’ai les mêmes marques… les mêmes lignes sur les mains, sur les jambes, sur le corps… C’est pas des dessins, c’est des tatouages! J’ai le corps couvert de tatouages et de cicatrices!!!

Je suis sur le point de paniquer quand toute la pièce est secouée du plancher au plafond par un tremblement de terre. Okay. Je me concentre.

Faut sacrer notre camp d’ici. Maintenant!

Je tire sur les sangles qui retiennent mon ami. C’est du gros tissus épais, comme les ceintures de sécurité dans le pick-up de mon père, mais ça s’arrache presque sans effort. Ça doit être l’adrénaline…

J’ai beau essayer de lui parler, Jay ne réagit pas. Il est inconscient. Je passe un de ses bras derrière ma tête et je l’agrippe par la poitrine avant de retourner dans le corridor. Je m’avance en essayant de ne pas échapper mon vieux chum. Il est tellement maigre que j’ai l’impression qu’il pèse une plume.

Une des grosses portes renforcées est juste devant nous. Évidemment, le foutu verrou est enclenché.

Là, il se passe un truc vraiment louche. Par frustration, j’ai eu le réflexe de foutre un coup de pied dans la porte. Je sais pas pourquoi, mais… quand mon pied cogne dedans, la grosse barrure en acier se tord et tombe par terre!!!

Je pousse un petit cri de victoire et je fonce avec Jay!

De l’autre côté, une grande pièce faite en longueur s’étire devant nous. Encore du métal, partout. Le centre de la pièce est pratiquement vide, à l’exception d’une table centrale, mais tout le long des murs, à gauche et à droite, il y a des centaines d’écrans de contrôle, de cadrans, de manettes, de boutons, de leviers, de fils connectés… mais personne.

Au bout, la pièce devient moins large et un grand fauteuil est placé sur un piédestal. Juste devant, deux minces fenêtres permettent d’entrevoir la lumière du jour. Là non-plus, personne.

Je m’avance lentement vers la table centrale. En fait, ce n’est pas une table : c’est un immense écran interactif qui est installé à plat. Quelques objets sont éparpillés dessus. Crayons, feuilles, instruments de mesure, carnet de notes et… un iPhone 11?!? C’est le iPhone de Jay!

Je le ramasse rapidement… Shit! Plus de batterie.

Je vois un petit sac de toile sur un autre siège. Je me le passe au cou puis je range le téléphone dedans, le carnet de notes que je trouve louche puis une équerre en métal plutôt pointue. On sait jamais.

Je m’avance vers le grand fauteuil au fond de la pièce. J’y dépose doucement mon ami avant de m’approcher des vitres. Plus j’approche, plus la lumière extérieure est aveuglante. Mes yeux n’ont pas l’air de vouloir s’y habituer. Ça chauffe vraiment. Mais je veux voir, j’ai besoin de savoir…

Des rails s’étirent devant nous à perte de vue et un paysage de ruines désertées défile rapidement de chaque côté.

À ce moment-là, je comprends : l’espèce de secousse, mes pertes d’équilibre, le bruit de grondement… on est dans un train! Un foutu train qui fonce à travers un paysage de ruines abandonnées!

À cet instant précis, j’entends un cri derrière moi.

Je me retourne. Je le vois : l’homme aux lunettes rondes se tient dans la porte de la locomotive, accompagné par une demi douzaines d’autres personnes en combinaisons jaunes. Il me montre ses paumes, en signe de paix, mais je vois clairement dans son visage qu’il est au bord de la panique. Il s’adresse encore à moi sans me quitter des yeux, mais je comprends rien : il parle une autre langue.

Dès que je fais quelques pas pour me placer entre eux et Jay, le vieux se remet à parler plus fort. Je m’arrête net. Je me mets à crier à mon tour. Je lui demande qui il est, je veux savoir où on est et c’est quoi le bordel!

Il place tranquillement une main sur sa poitrine et pointe le logo sur le mur. « Storozh! »

Fuck, c’est quoi ça, « Storozh »?!? Je comprends rien! Je gueule encore plus fort. Je lui dis que je veux m’en aller. Qu’ils ont pas le droit de nous retenir.

Pendant qu’il m’écoute, il me fait un genre de sourire pas convaincant. Lentement, il descend sa main droite vers le bas de son dos. Il va chercher une arme. Je suis sûr qu’il va chercher une arme!

Je me précipite vers lui… mais trop tard. Il braque un revolver sur moi. Je me fige. Ça y est, je vais crever dans un train au milieu de nulle part, flingué par un fou qui parle pas notre langue!

Tout doucement, il plonge sa main libre dans une des poches de sa combinaison jaune et sort un objet qu’il dépose sur la table centrale avant de se reculer vers ses acolytes.

Une seringue remplie de liquide bleu phosphorescent.

Il pointe l’injection, puis mime de se la planter dans le bras qui tient son arme. Le message est clair : je dois me piquer, ils veulent m’endormir.

Je ramasse la seringue. Je la regarde. Je les regarde. Qu’est-ce que ferait Will? Qu’est-ce que ferait P.O.?

Mais je n’ai aucune chance. Au moindre faux mouvement, je suis mort. À l’instant même où je me résigne à me faire la piqûre, j’entends une voix affaiblie et sifflante qui sort du fauteuil juste derrière moi.

« Yo, Alex! Fais pas ça! »

Surpris, le vieux regarde Jay pendant une fraction de seconde. C’est ma chance! Je lui lance la seringue en pleine face et je fonce sur lui.

Avant qu’il puisse réagir, je frappe son arme qui lui tombe des mains. Le reste de sa gang sortent des courtes matraques électrifiées et me tombent dessus. Je les frappe comme un malade. Coup de poing d’un côté. Coup de pied de l’autre. C’est le bordel. Un moment donné, j’entends un os craquer. Ça gueule de partout.

Mais… j’ai beau de débattre comme un fou, ils sont trop nombreux. Je m’essouffle rapidement. Je reçois un coup. Puis un autre. Mes réflexes s’émoussent. Ils me plaquent au sol. Je suis immobilisé. Le vieux s’approche avec la seringue.

« Heille, Alex? C’est qui le king des fails épiques? », demande Jay, que tout le monde avait oublié dans la bataille.

Je hurle de toutes mes forces restantes. « C’EST… JAAAYYYYY!!! »

Jay a un petit sourire en coin. « Check bien celui-là, dude! »

Et sans attendre une seconde, Jay tire à fond sur la grosse manette des freins et appuie sur le gros bouton rouge au centre du tableau de bord.

 

 

Pendant que le train quitte les rails, étrangement, tous les sons s’évanouissent et un silence absolu règne sur notre déraillement.

 

 

 

 

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Épisode écrit par Monsieur Martin

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